L'Epopée de Bourgogne
Ms 2549, folio 141, Bibliothèque Nationale d'Autriche, Vienne, 1448
Ms 2549, folio 141, Bibliothèque Nationale d'Autriche, Vienne, 1448
Le manuscrit du Roman de Girart de Roussillon composé par Jean Wauquelin à la demande de Philippe le Bon, à l'intention duquel il a été copié et décoré, est aujourd'hui conservé à Vienne, où il fait partie de la collection de manuscrits de la Bibliothèque nationale autrichienne.
Il se compose de 192 feuillets de 391/399×301 millimètres, répartis en 1 cahier de 6 feuillets, 23 cahiers de 8 feuillets et 1 cahier de 2 feuillets.
Le texte est disposé sur deux colonnes de 28 lignes en écriture dite « bâtarde bourguignonne ». Les titres des chapitres sont écrits à l'encre rouge, les citations latines soulignées de même.
Il est illustré de 52 grandes peintures dans le texte, d'une peinture à pleine page (f. 164) et de 153 petites peintures marginales consacrées à des épisodes évoqués dans le texte à raison de 3 ou 4 pour chaque page comportant une grande peinture. Ces peintures marginales sont insérées dans des bordures décoratives faites de grands rinceaux d'acanthes, de fleurs et de fruits. Sept des pages illustrées (ff. 54vo, 64, 74v°, 76, 115v°, 146, 176v°) ne comportent pas de scènes narratives marginales; elles y sont remplacées par divers sujets décoratifs (grotesques, putti, blasons, animaux sauvages, oiseaux). Des lettrines décorées marquent les débuts de chapitres.
L'actuelle reliure du manuscrit, en parchemin vert, date du xVI° siècle. Elle a remplacé une reliure plus ancienne, que l'inventaire de la librairie de Philippe le Bon, dressé en 1467, décrit comme étant « de velours noir à gros clous », sa reliure comportant deux fermoirs « de laiton doré, armorié des armes de feu le duc Philippe », et cinq «boutons de laiton doré sur chaque côté des ais ».
Le manuscrit est cité, en dehors de ces deux inventaires, dans ceux de Marguerite d'Autriche (1524), de Charles Quint (1536), de Marie de Hongrie (1577) et de l'empereur Mathias (après 1619). II a été transféré en 1783 du Trésor impérial autrichien (Kaiserlichen Schatzkammer) à la bibliothèque de la Cour impériale.
1. Une notice scientifique d'une minutieuse précision a été consacrée au manuscrit dans le catalogue des manuscrits flamands de la Bibliothèque nationale autrichienne (O. Pächt, U. Jenni, D. Thoss, Die illuminierten Handschriften und Inkunabeln der Österreichischen Nationalbibliothek... Flämische Schule I... 2 vol. (Vienne, 1983).
L'illustration de la plupart des grands manuscrits à peintures pose de nombreux problèmes quant à leur date précise, à leur lieu d'exécution et, plus encore, quant à l'attribution que l'on en peut faire à tel ou tel artiste, à tel ou tel atelier. Le plus souvent on en est réduit, pour les résoudre, à des comparaisons plus ou moins hypothétiques, ou, dans les meilleurs des cas, au recours à des documents écrits d'interprétation difficile tels que les comptes ou les inventaires anciens.
Le Girart de la Bibliothèque de Vienne ne fait pas exception à cette règle. Une discussion approfondie des conditions dans lesquelles fut copié, et surtout illustré, ce célèbre exemplaire de l'œuvre de Wauquelin, pourrait fournir la matière d'un gros volume, et la liste complète des études auxquelles il a donné lieu depuis un siècle pourrait occuper plusieurs pages.
Notre intention n'est pas, qu'on se rassure, de nous engager ici sur ce terrain mouvant, ni de prendre parti entre les thèses souvent contradictoires qui s'y sont affrontées. Nous nous contenterons de remarquer à ce propos que l'érudition contemporaine, après avoir d'abord parlé du « Maître du Girart», a peu à peu affiné ses analyses pour arriver aujourd'hui à la conclusion que plusieurs maîtres, très différents, ont participé à l'illustration du volume commandé par Philippe le Bon afin de le rendre digne de lui.
Dernière en date de cette longue lignée d'éminents spécialistes, Mme Dagmar Thoss (14) pense pouvoir en dénombrer trois, d'une exceptionnelle qualité, plus un quatrième, assez médiocre, que l'on pourrait considérer comme l'élève ou l'assistant d'un des trois premiers. Et cela sans parler des artisans spécialisés dans l'exécution des bordures, et peut-être dans celle des fonds et de certaines finitions des peintures, dont l'intervention complique encore l'analyse.
Dans les quelques pages qui vont suivre, nous ne nous hasarderons pas à discuter ses conclusions et moins encore à tenter de les compléter sur quelques points, même s'il reste à notre avis souhaitable de déterminer, par une étude codicologique plus poussée, l'exacte répartition des tâches entre ces divers collaborateurs.
Il peut en effet y avoir quelque risque à étudier les peintures d'un manuscrit, comme on le ferait pour un tableau de chevalet, en se fondant exclusivement sur des considérations d'ordre artistique, telles que la composition des scènes, le choix des couleurs ou la traduction plus ou moins habile de la troisième dimension de l'espace par la perspective. On ne doit pas oublier non plus que le choix même du sujet à représenter appartient le plus souvent, non à l'artiste, mais à l'auteur ou au « maître d'œuvre » tenant lieu d'éditeur. Leurs consignes précises, et en général écrites (15) limitent grandement la liberté de l'artiste, auquel ne sont pas imputables les entorses parfois faites à la vraisemblance par la compression en une seule image de plusieurs événements espacés dans le temps.
Le principal artiste, ou, si l'on préfère ce terme, le chef d'atelier, se contentait par ailleurs fréquemment d'une simple mise en place au crayon ou à la plume des personnages et du décor, laissant à ses collaborateurs, lorsqu'il en avait, le soin de faire disparaître son esquisse sous les couches de couleur, en apportant à l'exécution des détails vestimentaires ou architecturaux toute la patiente minutie qu'exigeait au xv° siècle le goût de plus en plus affirmé de la clientèle pour un réalisme pouvant aller jusqu'au trompe-l'œil.
Lorsque, pour parvenir plus vite à l'achèvement d'un volume impatiemment attendu, la tâche était répartie entre plusieurs « maîtres» ou plusieurs ateliers, c'était en général par cahiers entiers, ou par groupes de cahiers, que le manuscrit, une fois achevée sa copie, était divisé entre les divers enlumineurs chargés de sa decoration. Une telle pratique excluait en général, pour d'évidentes raisons matérielles, la participation de plusieurs « maîtres» à l'illustration d'un même cahier, et c'est là une considération dont l'analyse globale du volume ne peut se dispenser.
Ces banales remarques, d'ordre général, ne nous empêchent pas d'adopter pour l'essentiel les conclusions de Mme Thoss, et nous nous bornerons ici à répéter après elle que l'illustration du Girart est due pour sa quasi-totalité à deux peintres, faisant tous deux preuve d'un exceptionnel talent, mais dont le pinceau est guidé par des conceptions artistiques très différentes.
Le premier, qui fut longtemps appelé « Maître du Girart», mais que Mme Thoss préfère désigner sous le nom de « Maître B», se caractérise par une méthode de composition plus moderne ou plus « avancée», et par une technique que l'on pourrait presque qualifier d'impressionniste, consistant à traduire le modelé par de très légères hachures, plutôt que par des dégradés de couleur. Devraient lui être attribuées dix des grandes peintures du manuscrit, la plus remarquable étant assurément celle qui lui sert de frontispice (16).
Le second, appelé « Maître A », est considéré comme responsable de trente-neuf des grandes peintures restantes. Sa manière, qui trahit parfois de fugitives réminiscences de modèles italiens, est plus archaïsante. Dans les scènes d'intérieur, notamment, il place volontiers ses personnages sur un même rang, dans des édifices en forme de boîtes dont une face est escamotée comme s'il s'agissait d'une loggia à l'italienne. Sa science de la perspective est plus rudimentaire et, d'un plan à l'autre, la proportion des divers personnages est parfois d'une criante invraisemblance. Comme tous les grands enlumineurs flamands, il excelle en revanche dans la reproduction réaliste des moindres accessoires. Édifices, mobilier, armes, vête-ments, coiffures, sont peints avec une amoureuse minutie. Il ne manque pas un reflet sur une cuirasse ou un pichet d'étain, pas une broderie sur un pourpoint.
A un ou plusieurs assistants moins habiles seraient dues les quatre peintures qu'il ne conviendrait d'attribuer à aucun des deux « maîtres » déjà cités (17) l'une au moins d'entre elles étant d'une qualité assez médiocre et en tout cas nettement inférieure aux autres (18). Il serait par ailleurs intéressant, quoique fort difficile, de tenter de distinguer dans chaque peinture la part du « maître » et celle de son ou de ses collaborateurs.
Leur intervention paraît souvent indiscutable. Par exemple, en comparant les deux scènes consacrées à la vie misérable menée par Girart et son épouse dans la forêt d'Ardenne (folios73v et 76r), on s'aperçoit sans peine que, même si les personnages ont ete peints par le même artiste, le decor forestier où ils sont campes est traité de façon très différente dans chaque peinture.
Folio 73v - La rédemption par le travail
Folio 76r - L'humble courage de Berte
On ne saurait, en raison de leur importance et de leur qualité, omettre de dire quelques mots des bordures encadrant les pages illustrées du Girart. La plupart comportent en effet tantôt trois, tantôt quatre petites peintures représentant divers épisodes du récit de Wauquelin qui précèdent ou suivent celui auquel est consacré la grande peinture. Elles viennent s'insérer dans un décor marginal très classique, composé soit de grands rinceaux d'acanthes multicolores, soit de fleurs ou de fruits, peints au naturel.
La présence de petites peintures de ce genre dans les marges de manuscrits de luxe n'a rien d'exceptionnel en France : on la constate par exemple dans le célèbre Bréviaire du duc de Bedford (19), mais si nous citons ce manuscrit c'est en raison de sa date, antérieure d'une bonne vingtaine d'années au moins à celle du Girart : ce type de décor marginal commençait à passer de mode et on ne le rencontre qu'assez rarement dans les manuscrits bourguignons ou flamands.
Dans le cas présent, on ne peut qu'admirer le soin apporté par leurs auteurs à l'exécution de ces scènes dont ils savent faire autant de minuscules tableaux aussi achevés dans leurs détails que les grandes peintures et où, pour nombre d'entre elles, on peut déceler la main experte d'un « maître ».
Quelques bordures cependant ne comportent aucune de ces peintures de caractère narratif. Elles y sont remplacées, soit par des motifs héraldiques (PI. I, VII, X) accompagnés parfois de putti d'inspiration italienne, soit par des oiseaux (PI. XIII), des lions, des hommes sauvages ou des guerriers appartenant au répertoire traditionnel de « grotesques » constitué par les enlumineurs à partir de la fin du XIII® siècle.
On aimerait pouvoir conclure ce chapitre en fournissant au lecteur les noms des artistes exceptionnels qui surent si bien satisfaire les exigences de leur princier client, mais leur anonymat reste, hélas, à peu près impossible à percer. Tout au plus peut-on indiquer sans crainte d'erreur que leur facture très personnelle se retrouve dans un petit nombre de manuscrits, contemporains du Girart à quelques années près. Il s'y rencontre même un certain nombre de peintures reproduisant trait pour trait le modèle antérieur fourni par ce dernier manuscrit (20) On pourrait d'ailleurs se demander à leur propos si cette surprenante identité ne pourrait pas tout aussi bien s'expliquer par une exécution concomitante dans un même atelier des deux répliques, plutôt que par une copie de l'une sur l'autre, ce qui, à quelques années de distance, paraîtrait assez improbable, surtout après l'entrée du Girart dans la bibliothèque ducale. La relative incertitude qui plane sur la date d'exécution de l'exemplaire de luxe commandé par Philippe le Bon n'interdit nullement une telle hypothèse. Elle ne fournit malheureusement aucun élément supplémentaire d'identification.
On a parfois suppos (21) que le « Maître du Girart » pourrait ne faire qu'un avec le célèbre enlumineur Dreux Jean (22) qui travailla à Bruxelles à partir de 1448 et que certains comptes indiquent comme « enlumineur et valet de chambre » de Philippe le Bon. A l'appui de cette hypothèse, on peut citer le fait que plusieurs manuscrits généralement attribués à cet artiste sont illustrés de peintures en « grisaille » (23), ce qui est précisément le cas d'une scène de siège décorant un Roman de Troie (24) identique à celle qui représente, en couleurs, le siège de Roussillon par les Vandales dans le Girart (Pl. III) (25) . A son encontre, on a fait remarquer que Dreux Jean a surtout travaillé à la fin du règne de Philippe le Bon, et longtemps encore après la mort de celui-ci. Pour lui attribuer une partie des peintures du Girart, il faudrait admettre qu'il avait déjà atteint alors une grande maîtrise, en dépit de sa relative jeunesse. Toutefois, si l'on accepte, comme nous suggérons de le faire, d'avancer la date du Girart jusqu'aux environs de 1453-1455, cette objection perdrait de sa valeur. Devrait en revanche être définitivement abandonnée la thèse de L.M.J. Delaissé situant dans un atelier de Mons l'exécution du Girart (26). Nous renoncerions volontiers, pour notre part, à cette localisation, lui en préférant n'importe quelle autre, pourvu qu'elle soit plus septentrionale et flamande que Mons. A cet égard, un détail qui ne semble pas avoir jusqu'alors retenu l'attention nous paraît, pour mince qu'il soit, relativement significatif.
On ne peut feuilleter le Girart et nombre d'autres manuscrits d'origine flamande ayant appartenu à Philippe le Bon, sans remarquer le soin minutieux, fréquemment apporté par leurs illustrateurs, à la représentation des dallages qui, dans les scènes d'intérieur, donnent au décor un utile élément de profondeur. Souvent, comme dans le frontispice du Girart, ce dallage est formé tantôt de carreaux multicolores, tantôt de lettres, soit gothiques, soit fantaisistes et d'aspect vaguement oriental, tantôt de motifs héraldiques, parmi lesquels figure en bonne place le « briquet » bourguignon qui constitue aussi les maillons du collier de la Toison d'or (Pl. I). Mais il arrive parfois aussi que des carreaux unis, de couleurs différentes, soient disposés de manière à dessiner sur le sol de grands svastikas dont les bras à crochets rectangulaires s'imbriquent les uns dans les autres.
Ce motif, relativement rare, que l'on rencontre dans deux peintures marginales du Girart (27) , se retrouve également dans le pavage d'une des peintures des Chroniques de Jérusalem (28) , manuscrit datant des environs de 1455, où l'on peut reconnai-tre la main du « Maître A », contenant plusieurs de ces répliques dont nous avons déjà parlé. Il apparaît aussi dans un Statut des brasseurs de Gand daté de 1453 et, une dizaine d'années plus tard, dans le Livre de prières de Philippe le Bon (29) dont plusieurs peintures sont attribuables les unes à Dreux Jean, les autres, en plus grand nombre, à Van Lathem. Ce dernier artiste, d'origine et d'inspiration purement flamandes, a plus tard encore réintroduit le motif du svastika dans un autre livre de prières exécuté pour Charles le Téméraire ou Marie de Bourgogne (30) dont plusieurs peintures sont attribuables les unes à Dreux Jean, les autres, en plus grand nombre, à Van Lathem. Ce dernier artiste, d'origine et d'inspiration purement flamandes, a plus tard encore réintroduit le motif du svastika dans un autre livre de prières exécuté pour Charles le Téméraire ou Marie de Bourgogne (31). Cette présence d'un même motif, d'origine orientale, dans le Girart et dans deux manuscrits au moins datant tous deux des environs de 1453-1454, semble significative. Sans aller jusqu'à considérer ces svastikas - les premiers, semble-t-il, d'une assez longue série - comme une marque spécifique devant être attribuée à un artiste ou à un atelier en particulier, ne peut-on y trouver l'expression d'une mode toute récente ? Est-il même téméraire d'établir un rapport entre cet élément exotique du décor et les projets de croisade en Terre sainte conçus par Philippe le Bon à partir de 1454 et qui furent pour lui l'occasion de commander l'exemplaire des Chroniques de Jérusalem dont nous venons de parler ?
Cette digression est sans doute trop longue. Elle a du moins le mérite de mettre en lumière les difficultés invariablement présentées par les problèmes voisins de ceux que soulève l'illustration du Girart. Fort heureusement, ces interrogations, si arides qu'elles soient, ne sauraient atténuer en rien l'admiration que l'on peut à bon droit éprouver, bien des siècles après leur achèvement, pour ces enluminures, chefs-d'œuvre anonymes, témoins d'une forme disparue - mais cependant essentielle - d'expression artistique.
Notes
14. D. Thoss, Das Epos der Burgunderreiches. Girart de Roussillon (...J (Graz, 1989).
15. On en a un excellent exemple dans la Bible allemande exécutée pour l'empereur Wenceslas à Prague, beaucoup d'indications très précises données par le « maître d'œuvre » aux artistes ayant échappé à leur grattoir, ou au couteau du relieur. Cf. M. Thomas, « Le chef-d'œuvre inachevé », ds. La Bible de Prague (Paris, 1989).
16. Ces peintures apparaissent dans le manuscrit de Vienne aux feuillets suivants : 6 (V. PI. I) ; 29 ; 100vo (P1. XVIII); 104v° (P1. XIX); 108v° (P1. XX); 136v° (P1. XXII); 154vo (P1. XXV) ; 162 P1. XXVIII) ; 164 (P1. XXIX) ; 177v°.
17. Ibid., f. 25 (Fig. 2, p. 60) ; 34v° (Fig. 5, p. 120); 39 (Fig. 6, p. 131); 54v° (PI. VII).
18. Il s'agit de la peinture du f. 54v° (P1. VII) qui semble avoir été exécutée avec quelque maladresse à partir d'une mise en place du « Maître A ».
19. Paris, Bibl. nat., ms. latin 17294.
20. Nous relevons ces cas de similitude dans les notices consacrées au commentaire des peintures du Girart reproduites dans le présent volume.
21. Cf. F. Winkler, Die flamische Buchmalerei (Leipzig, 1925).
22. On considère généralement aujourd'hui qu'il convient de le désigner ainsi, « Jean » ayant dans son cas la valeur d'un nom, alors qu'on l'avait à tort antérieurement appelé « Jean Dreux ».
23. Voir en particulier deux manuscrits conservés à Bruxelles, Bibl. royale, mss. 9017 et 9081-9082.
24. Bruxelles, Bibl. royale, ms. 9264, f. 1.
25. L'argument semble a vrai dire de peu de valeur, car la peinture en question du Girart n'est pas attribuable au « Maître B ». Pour une analyse plus détaillée de la question Dreux Jean, voir D. lhoss, op. cit., et la notice consacrée au Girart dans le catalogue des manuscrits flamands de la Bibliothèque nationale autrichienne, déjà cité p. 205.
26. Le Siècle d'or de la miniature flamande [...] (Bruxelles, 1959), p. 47-59.
27. Petites peintures des marges droite et gauche du f. 83v° (Pl. XVI).
28. Vienne, Österr. nat. Bibl., ms. 3533, f. 18.
29. Gand, Bijlote Museum, Inv. 458, ff. 7 et 8.
30. Paris, Bibl. nat., ms. nouv. acq. fr. 16328, f. 61. La scène représente Jésus chassant les marchands du Temple. On peut admettre que le motif du svastika sert à donner à l'édifice un caractère exotique.
31. Vienne, Osterr. nat. Bibl., ms. 1857, f. 33. Une peinture y représente saint Marc écrivant son Evangile. Ici encore, elle se situe dans un cadre exotique ou antiquisant. Liévin Van Lathem fut reçu « franc-maître» du « Métier des peintres» de Gand en 1454. A partir de 1456 environ, il travailla presque exclusivement pour Philippe le Bon. Il s'établit ensuite à Anvers, où on le retrouve en 1462, et où il mourut en 1493. (Cf. Fr. Unterkircher et A. De Schryver, Gebetbuch Karls des Kühnen vel potius Stundenbuch der Maria von Burgund... (Graz, 1969). On ignore malheureusement où il fit son apprentissage, mais rien n'interdit de penser qu'il ait pu travailler, peu avant 1454, dans un des ateliers ou fut élaboré le Girart, et y être affecté à ces minutieuses mais modestes besognes que constituait, dans les peintures, un décor dont le « Maître » se déchargeait volontiers sur ses assistants.
Folio 12v - Siège de Lassois par les vandales
Planche XXII (f. 136 v°)
Une pieuse inspiration est venue à Girart au cours de la longue trève de fait qui s'est instituée entre Charles et lui après la bataille de Vaubeton: il fera rechercher à Aix, pour les transférer à l'abbaye de Vézelay qu'il protège activement, les reliques de sainte Marie-Madeleine. Wauquelin, utilisant sur ce point la Vita latine de Girart, va consacrer plusieurs chapitres à cette expédition qui contribuera à faire par la suite de Vézelay un insigne lieu de pèlerinage '
Il commencera son récit par un retour en arrière où il racontera la destruction d'Aix-en-Provence par les Sarrasins, au cours du règne de Charlemagne (marge droite), sans oublier de souligner que Drogon, le père de Girart, s'était illustré aux côtés du grand empereur dans ses luttes contre les Infidèles (marge gauche).
Devant la superbe abbaye que la munificence de Girart et Berte a contribué à faire naître et à développer, Odon, abbé mitré de Vézelay, bénit le moine Badilon qui a reçu la mission d'aller rechercher en Provence les précieuses reliques. Berte et Girart assistent à la scène en présence d'un groupe compact de moines et de laïques.
Arrivé à Aix, Badilon, en explorant les ruines de la ville, découvre, enfoui sous les arbres et les pierres, le sarcophage contenant les restes de la sainte (marge supérieure). Avec ses compagnons, il tombe à genoux et remercie le ciel d'avoir assuré la réussite de sa mission.
Planche XXIII (f. 139)
Quand le sarcophage a été entièrement dégagé, Badilon a pu y lire une inscription latine lui confirmant qu'il contient bien les reliques recherchées. Le peintre l'a fidèlement reproduite : Hic jacet corpus beate Marie Magdalene (« Ici repose le corps de sainte Marie-Madeleine »). Il a décoré la partie verticale du sarcophage de grands caractères de fantaisie, et sa partie supérieure de médaillons retraçant en bas-relief les scènes évangéliques où Marie-Madeleine a joué un rôle, c'est-à-dire l'apparition du Christ après sa mort (Nolime tangere), la Résurrection, la Cène. Le corps de la sainte, enveloppé dans son linceul, est apparu quand Badilon a fracturé un côté du sarcophage. Il l'a trouvé presque intact, et, dans leur lividité, les traits du visage sont restés reconnaissables. Dans son souci de respecter tous les détails du récit, le peintre a tenu à placer dans son tableau le cheval sur lequel va être, dans un instant, posé le cadavre, mais, pour ne pas dissimuler au second plan les principaux personnages de la scène, il a donné à l'animal une taille réduite, sans se préoccuper de l'invraisemblance d'une telle représentation.
Pendant toute une nuit, Badilon est resté en prière, agenouillé auprès du sarcophage avant de le fracturer, laissant dormir ses compagnons (marge droite). Au cours de la nuit suivante, alors qu'il s'était, lui aussi, endormi, sainte Marie-Madeleine lui est apparue en songe et lui a confirmé qu'elle encourageait le transfert de ses reliques à Vézelay (marge gauche).
Désormais, pleinement rassuré sur la légitimité de son entreprise, et après avoir chargé sur un cheval le corps de la sainte soigneusement enveloppé et qui dégage une odeur d'une miraculeuse suavité Badilon est reparti pour Vézelay, lisant en chemin son bréviaire (marge inférieure).
Planche XXIV (f. 141)
Parvenu à l'Abbaye où l'attendent l'abbé, Girard, Berte et leur cour en vêtements d'apparat, mais les pieds nus en signe de respect, Badilon leur présente à genoux son precieux fardeau dont le linceul dégage les pieds et le visage, maintenant entouré d'une auréole étincelante. Juchée sur les parties hautes de l'abbaye, une foule en prière contemple cette scène.
Chargeant alors sur ses épaules le corps de la sainte, Girart le transporte à l'intérieur de l'église abbatiale où un magnifique reliquaire lui a été préparé (marge droite).
Les miracles vont bientôt se multiplier a Vezelay, ou les pelerins afflueront. On voit ici l'un d'eux (marge gauche) implorer de la sainte, dont la châsse est placée sur l'autel, le pardon de ses péchés ; n'osant s'en confesser à un prêtre, il en a écrit la liste et l'a déposée sur l'autel.
Pendant que Girart et Berte ne pensent qu'à faire leur salut en se consacrant à des œuvres pies, le démon inspire aux mauvais conseillers de Charles l'idée de le pousser à reprendre la lutte. Ils n'ont pas de mal à l'en convaincre, et le roi, ayant rassemblé une nouvelle armée, vient assiéger Roussillon (marge inférieure).
Il est assez curieux de constater que les trois grandes peintures consacrées aux reliques de sainte Marie-Madeleine semblent bien exécutées par trois artistes différents. C'est assurément le cas pour deux d'entre elles : la première (Pl. XXII) est à rapprocher à celles attribuables à l'artiste responsable de la décoration des feuillets 100 v° P1. XVIII), 104 v° (P1. XIX), 108 v° (Pl. XX) et 164 (P1. XXIX) c'est-à-dire à celles que l'on peut admettre sans invraisemblance comme étant dues à Dreux Jean. La deuxième (Pl. XXIII) est d'une facture tout à fait semblable à celle des peintures des feuillets 9 v° (PI. II), 78 (Pl. XIV), 83 v° P1. XVI), ou 181 (Pl. XXXI), pour ne citer que les cas les plus frappants. La facture de la troisième (PI. XXIV) est moins aisée à caractériser ; elle est assez proche de celle de la peinture la précédant immédiatement, mais les physionomies des personnages sont traitées avec moins de finesse, les visages de Girart et de l'abbé de Vézelay, dans leur trop grande ressemblance, trahissent en particulier une relative négligence.