Construction de la cité terrestre - folio 3, volume 2
Lettrine C - folio 3, volume 2
Saint Augustin rédigeant la Cité de Dieu assailli par des démons porteur de mauvais livres - folio 230, volumle 2
La Bibliothèque nationale universitaire (BNU) possède une collection d'environ 700 manuscrits médiévaux, parmi lesquels "La Cité de Dieu" se distingue comme un véritable joyau.
Le manuscrit se distingue par une profusion décorative, l'excellence de son exécution et sa palette chromatique remarquable. Les feuillets de parchemin aux dimensions imposantes, l'éclat doré des enluminures qui traversent l'ensemble de l'ouvrage et la qualité exceptionnelle des peintures constituent ses atouts majeurs.
Le manuscrit en deux tomes présente la version française de "La Cité de Dieu" de saint Augustin, texte fondamental composé au début du Ve siècle par l'évêque d'Hippone et largement diffusé dans l'Occident médiéval. Cette traduction française est l'oeuvre de Raoul de Presles, théologien, juriste, écrivain et traducteur du XIVe siècle.
On suit l'organisation traditionnelle : le premier tome contient les livres 1 à 10, le second les livres 11 à 22, formant une copie intégrale.
Techniquement, il s'agit d'un grand format in-folio réparti en deux volumes, utilisant un parchemin de belle qualité avec de grands feuillets de 435 × 640 mm. La structure respecte le principe des quaternions, soit des cahiers de quatre bifeuillets emboîtés représentant 16 pages chacun.
Cette présentation privilégie l'approche artistique et décorative plutôt que l'analyse de l'œuvre augustinienne elle-même.
Peintre enlumineur actif dans le deuxième tiers du XVe siècle en Flandre, Le Tavernier est originaire de la ville d'Audenarde. Il est actif auprès du duc Philippe le Bon de Bourgogne pour qui il réalise plusieurs manuscrits. Certaines illustrations du manuscrit de Strasbourg sont de sa main.
Le folio 3 du volume 2 est un exemple particulièrement remarquable de la maîtrise du grand enlumineur. Le premier plan de la miniature s'ouvre sur un chantier de construction où des ouvriers s'activent, tandis qu'au second plan, des démons grimaçants sont en train de déconstruire au fur et à mesure ce que les ouvriers ont déjà édifié. L'orgueilleuse cité terrestre est marquée par l'instabilité permanente et l'opposition de forces contraires de construction et de destruction. On songe à l'évangile selon saint Matthieu où Jésus dit : « Tout royaume divisé contre lui-même devient un désert ; toute ville ou maison divisée contre elle-même sera incapable de tenir. Si Satan expulse Satan, c'est donc qu'il est divisé contre lui-même ; comment son royaume tiendra-t-il ? »
À droite de l'image, un groupe d'hommes est dépeint : le personnage central est vêtu richement, il est entouré d'une cour et deux individus de condition plus humble fléchissent le genou devant lui. Ce personnage semble être le maître d'œuvre de la cité, son architecte si l'on veut. A y regarder de plus près, on distingue, juste derrière lui, la présence d'un démon dont les mains invisibles semblent s'activer dans son dos : l'architecte ou maître d'œuvre ne serait-il qu'une marionnette sous le contrôle du diable ? La figure d'un personnage ainsi courtisé et faisant l'objet de toutes les attentions se retrouve dans d'autres manuscrits, comme dans celui du Livre des Merveilles (BNF Fr 2810), un manuscrit du début du XVe siècle contenant entre autres textes le récit du voyage de Marco Polo. Sur une des illustrations, l'Antéchrist apparaît sous les apparences d'un personnage distingué et mitré, entouré d'une cour, cette fois de clercs, et devant qui l'on fléchit le genou.
L'enluminure se présente ici comme un commentaire visuel du texte de saint Augustin dont elle résume la pensée : la Cité terrestre est bâtie sur l'orgueil et traversée par des forces de division qui la rendent instable et caduque. Par opposition, on en déduit la nature stable et éternelle de la Cité de Dieu fondée sur l'humilité. Au personnage de l'architecte, symbole de la vanité humaine que manipule Satan, on opposera la figure du Christ, humble et faisant la volonté du Père.
Ouvrage est dirigé par Daniel Bornemann, conservateur responsable des Réserves et des Alsatiques à la Bnu.